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Colère

Première nouvelle écrite pour "La Rue des Bars"

En 2015, avec un ami, nous nous étions mis en tête de nous lancer dans l’écriture de nouvelles. Nous nous donnions un thème, et nous avions généralement une semaine ou deux pour écrire quelque chose. Nous les mettions ensuite sur un blog Tumblr, que nous avions appelés “La Rue des Bars”, protégé par mot de passe afin de pouvoir en garder une trace. Vu que le site sur lequel vous vous trouvez est une sorte de compilation de tout ce que j’ai pu produire de narratif, je commence donc en publiant publiquement ce que j’avais écris à l’époque. J’ai tenté de relire rapidement pour corriger quelque fautes et changer un ou deux mots étranges, mais sinon tout reste quand même dans son jus. Bonne lecture !

Voilà maintenant plusieurs semaines qu’il était allongé sur ce lit d’hôpital. Au début, il ne comprenait pas très bien pourquoi un simple évanouissement l’avait emmené ici. Il se disait que ce n’était bien sûr pas si grave que ça. Oh, combien il avait hâte de retourner travailler. Puis, au fur et à mesure des jours, la vérité vint le frapper au visage, quand son bras gauche eu de plus en plus de mal à bouger. Puis se paralysa entièrement.

Il allait mourir.

Les docteurs ne changeaient rien à leurs habitudes. Même quand il leur demandait, ils se contentaient d’esquiver la question. Même quand ses proches venaient lui rendre visite et qu’il en profitait pour parler de ses craintes, ces derniers riaient de bon cœur, lui disant de ne pas s’inquiéter, qu’il allait se rétablir.

Il ne pouvait pas leur en vouloir. Cela faisait bien des années que le concept de mort avait été rendu tabou. On n’en discutait dans aucun média. La guerre, on n’en parlait plus. Les suicides, encore moins. C’était devenu tellement démentiel que les corps des morts étaient évacués avant même que les familles ne puissent s’apercevoir de leurs disparitions.

La Mort n’existait plus. Les morts non plus.

Il avait vécu toute sa vie dans cette illusion, et maintenant qu’il était lui-même sur le point de mourir, tout lui semblait si injuste. Ses proches, les personnes avec qui il a vécu, tous ces individus ne se souviendront bientôt plus de lui. Ils n’auront même pas une pensée pour lui.

Ils ne seront pas tristes.

Ils ne pourront pas.

À quoi auront servi toutes ces années à se lever le matin, aller au travail, regarder la télévision, endormi par la fatigue quotidienne ? Il n’a toujours été qu’un homme comme un autre, alors la réponse est simple : à rien.

Le vertige de la Mort ? Il lui paraissait être le seul à y faire face. Comment tout le monde peuvent vivre ainsi ? Comment peut-on autant se voiler la face ? Comment peut-on oublier ?

Il ne peut pas mourir de cette façon. Pas comme ça, en étant simplement traîné dans le néant de l’amnésie. Il veut juste que les gens se souviennent de lui.

Il sut alors quoi faire.

Il se leva, s’habilla du mieux qu’il put, et sortit de sa chambre. Dans le couloir, tout le monde souriait, la bonne humeur était présente partout. Dans un putain d’hôpital… Bon Dieu, il fallait faire quelque chose.

Il marcha d’un pas rapide, esquivant les quelques visiteurs présents. Sur sa route, certains le dévisagèrent un instant, avant de reprendre leurs activités comme si de rien n’était. Il étouffa un cri. Bordel, mais même dans ce moment-là, personne ne voulait faire attention à lui. Son cœur continuait pourtant de battre !

Au bout de quelques couloirs, il arriva enfin dans le hall de l’hôpital. Il regarda autour de lui. Des centaines de personnes allaient et venaient, discutaient, riaient, attendaient, dans une bruyante effervescence. À trois mètres de lui, un médecin plaisantait avec un jeune couple dont la femme était enceinte.

Il hurla de toutes ses forces.

Puis le silence. Tous les regards étaient fixés sur lui. Il braqua ses yeux dans ceux des gens effrayés. Il hurla de nouveau, criant de toute l’énergie du dégoût et du mépris qui le brulait de l’intérieur.

Il veut juste que l’on se souvienne de lui.

D’un geste, il sortit de sa poche un couteau récupéré sur le plateau repas qu’on lui avait donné quelques heures plus tôt.

Il hurla une dernière fois.

« Je ne suis pas mort ! »

D’un geste vif, il trancha profondément son cou juste en dessous de sa pomme d’Adam. Un flot de sang se répandit rapidement le long de ses vêtements, puis sur le sol du hall, créant très vite une flaque écarlate au niveau de ses pieds.

Il s’effondra, inerte.

Les premiers cris de la foule furent stridents ; la cohue totale, anarchique. Tous couraient pour essayer de s’enfuir, terrorisés par ce qu’ils ne comprenaient pas.

En quelques minutes, le hall fut désert.

Seule une jeune femme, encore sous le choc, était restée à sa place. Elle fixa pendant une éternité le corps de l’homme face à elle, peinant à appréhender ce qui venait de se passer. Pourquoi avait-il arrêté de crier ? Il s’était coupé, et beaucoup de sang était sorti de sa gorge, mais pourquoi il ne bouge plus ?

Un flot d’émotions la submergea. Elle avait peur, elle était triste, elle avait froid, elle avait envie de vomir. Qu’est-ce que ça voulait dire ?

Seule, perdue, dans le silence tonitruant de ce hall d’hôpital, elle ressentait ce que le cadavre face à elle avait lui-même ressenti quelques instants plus tôt.

Le vertige de la mort.

Photo par Marcelo Leal sur Unsplash

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