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Union

Seconde nouvelle écrite pour "La Rue des Bars"

Comme pour tous les autres textes de “La Rue des Bars”, les thèmes que nous nous étions donnés à l’époque ont été perdus. Pour cette nouvelle, je me souviens que je voulais principalement travailler la forme du texte, en racontant un même évènement par trois points de vue différents. Excusez moi pour le côté un peu grincant, j’étais jeune :)

1

Depuis que je suis tout petit, on m’a toujours répété que la venue d’un enfant était un moment unique, une des plus belles choses au monde. Eh bien, c’est pas exactement la façon dont je vois actuellement les choses.

« C’est bien Madame, respirez, voilà… »

Devant moi, ma femme est allongée, hurlant de douleur, le visage crispé dans une grimace assez comique si on la sort du contexte, de grosses gouttes de sueurs perlant un peu partout. Et, moi, là, qui ne sait pas trop quoi faire, passant un linge sur son front, en mode « mari modèle ».

Je lui sors un petit « Allez, chérie, tu peux le faire » sans entrain.

Pas terrible.

En même temps, difficile de faire semblant. Après 10 ans de vie commune, je peux facilement dire que la magie s’est estompée depuis un petit bout de temps. Pour faire simple : je ne l’aime plus.

Vous comprenez certainement mieux pourquoi je ne me sens pas à ma place là, immédiatement.

Mince, voilà que mon portable vibre. Je ne vais quand même pas répondre maintenant, si ?

Ma femme poussa un nouveau hurlement.

Non, ça ne serait vraiment pas judicieux.

« C’est bon, je le vois, il sort ! »

Mais c’est que ça insiste, en plus ! Bon, je jette un coup d’œil, juste histoire de voir.

La sage-femme me lâcha un « Monsieur ! » outré.

De toutes les personnes qui pouvaient m’appeler maintenant, c’était elle la pire. Elle voulait sûrement savoir pourquoi j’étais parti si vite de chez elle. Difficile de lui dire que je devais amener ma vraie femme, celle avec qui je suis marié, à l’hôpital pour qu’elle accouche de notre premier enfant.

« C’est bon, on y est presque… »

Je range mon téléphone et sers la main de ma femme, tentant toujours tant bien que mal de trouver quoi lui dire.

Je tourne ma tête vers la sage-femme, elle semble avoir notre âge. Dans ses mains, un bébé est blotti. Elle me le tend.

« Vous voulez couper le cordon ? »

2

« C’est bien Madame, respirez, voilà… »

On m’avait dit quand j’étais petite qu’un jour, je sentirais au plus profond de moi l’envie d’avoir un enfant. C’est drôle, mais je suis certaine que ce n’est pas aujourd’hui.

Pourtant, je suis là, allongé dans un hôpital, donnant naissance à un petit être humain.

Merde, j’ai l’impression d’être encore moi-même une enfant… Enfin, une enfant de 30 ans. Ma vie passe si vite…

« Allez, chérie, tu peux le faire »

Ah, et le voilà, posté comme un gland, mon cher mari. 10 ans de vie commune, hein.

Mon cul.

Je n’ai jamais su précisément quand il a arrêté de m’aimer, et à vrai dire, je ne cherche pas à savoir non plus. C’est plus mon problème depuis un petit bout de temps. Et je veux quand même avoir un enfant de ce mec, vous vous demandez ?

Qui vous dit que c’est le sien ?

« C’est bon, je le vois, il sort ! »

Si ça pouvait sortir plus vite, ça m’arrangerait ! J’ai l’impression que mon bas-ventre est en train de fondre… Ça fait plusieurs minutes que j’hurle de douleur, et j’ai l’impression que tout le monde s’en fout. Mon mari doit se sentir stressé, sûrement. La sage-femme, elle voit ça tous les jours.

Une légère impression d’avoir raté ma vie, quand même.

La sage-femme lâche d’un seul coup un « Monsieur ! » colérique.

Ah d’accord, là, il regarde complètement son portable. Vu son air, c’est forcément cette garce avec laquelle il me trompe.

J’ai juste envie de partir d’ici, tout oublier, de revenir une décennie plus tôt comme si rien ne s’était passé.

« C’est bon, on y est presque… »

Sa main serre la mienne. Merde, c’est bon, pas la peine de faire semblant à ce point.

Je sens que c’est bientôt fini.

Libération. C’est terminé, enfin. J’essaye de reprendre mes esprits.

Du coin de l’œil, je vois la sage-femme, un bébé blotti dans les bras. C’est… le mien ?

Elle se tourne vers mon mari.

« Vous voulez couper le cordon ?

3

Je me souviens de mon premier passage chez le gynéco, quand j’étais adolescente. Le médecin m’avait sorti tout un charabia technique que je n’ai pas compris, mais la conclusion était simple : je ne pourrai jamais tomber enceinte.

J’imagine que devenir sage-femme était la suite logique.

« C’est bien Madame, respirez, voilà… »

Me voilà en train d’assister, chaque jour, plusieurs fois, à « l’événement miraculeux » que je ne vivrais jamais.

Le couple, là, je ne le connais pas. Deux personnes parmi tant d’autres, et franchement, je ne suis pas certaine d’avoir envie d’en savoir plus sur eux. Mais c’est plus fort que moi : en un coup d’œil, je peux les cerner.

« Allez, chérie, tu peux le faire »

Hypocrite.

Le mari, déjà, est un bon exemple. Le stéréotype parfait du trentenaire qui ne s’implique jamais, ne propose jamais rien, et ne fais que vivoter sans jamais rien accomplir. S’ils ont un jour évoqué l’idée d’avoir des enfants, je peux vous assurer que sa participation a dû se limiter à un bref “ouais”.

« C’est bon, je le vois, il sort ! »

Ma mère me répète constamment que je suis une célibataire endurcie, que je n’aime pas les gens. Les gens ne font rien pour que je les aime non plus, en même temps. Quand tu passes tes journées à les voir cracher sur la chance inestimable qu’ils ont d’être parents, il y a de quoi être dégoutée.

Attendez, mais… Il vient vraiment de sortir son téléphone ?

« Monsieur ! »

Intérieurement, je brûle.

J’essaye de me respirer, de me calmer, mais mes mains commencent à trembler. Tout va bien se passer, c’est le dernier de la journée, tu pourras tout oublier après.

« C’est bon, on y est presque… »

Et d’un coup, me voilà encore une fois avec un bébé dans les bras. Quelques secondes plus tard, il commence à pleurer.

Avec des parents pareils, ça ne sera probablement pas la dernière fois.

Ses petites mains s’accrochent à ma blouse, et tout semble être mis en pause. Mon cœur se serre.

Je relève la tête, et me tourne rapidement vers le père.

« Vous voulez couper le cordon ? »

Photo by Susan Holt Simpson on Unsplash

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