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Apocalypse

Quatrième nouvelle écrite pour "La Rue des Bars"

Je ne vais pas vous mentir, cette nouvelle est particulière. Bien qu’elle fut rédigée dans le cadre de “La Rue des Bars”, je me souviens qu’à l’origine cette histoire était un cauchemar que j’avais fais. Bien que dans mes souvenirs, ce cauchemar comportait plus de détails, cette nouvelle y reste assez fidèle. Et histoire de rajouter au côté un peu taré, j’avais écouté en boucle “Detection” de Sean Evans (de la BO de Hotline Miami 2) pendant que j’écrivais. Si vous voulez vous mettre dans l’ambiance, foncez l’écouter.

Les deux hommes se fixèrent pendant quelques instants.

Un silence.

« Dites-moi, M. A., vous avez subi une épreuve difficile, c’est bien cela ? »

M. A. était un homme d’une quarantaine d’années. Pourtant, il était si mal habillé, et sentait tellement l’eau de toilette bon marché qu’il en paraissait vingt de plus.

Il semblait mal à l’aise, tentant en vain de s’installer confortablement sur la vieille chaise en bois que lui avait donné le toubib.

« Vous savez, je suis ici pour vous aider. Tout ce que nous voulons, c’est que vous alliez mieux, n’est-ce pas ? »

M. A. acquiesça silencieusement, le regard plongé dans le lent tourbillon des pales du ventilateur situé sur le bureau dy psy.

« Bien, et je pense qu’il est important, pour votre rétablissement, que vous me racontiez en détail ce qu’il vous est arrivé. Vous voulez bien ? »

Avec un effort qui paraissait énormément lui coûter, M. A. porta son attention sur le docteur.

« Vous êtes sûr que ça va m’aider ? »

Il sourit sans dire mot.

« Bon, d’accord… Mais j’ignore si je me souviens de tout… »

Un autre sourire.

« Ne vous en faites pas, l’important est que vous utilisiez vos propres mots pour décrire l’évènement. »

« Bon. »


M. A. commença :

« C’était il y a quelque temps. Mon patron m’avait envoyé écrire deux trois trucs à propos d’une espèce de nouvelle secte qui s’était formée dans un patelin pas très loin de là où je bosse. J’suis journaliste dans un petit journal local, vous savez, alors ce genre d’histoire, c’est pas forcément courant, mais ça arrive par chez nous. Comme les gens sont pas trop éduqués, on voit souvent des mecs débarquer et se vendre comme étant la résurrection du Christ. Ils amassent le fric des ignorants par paquets, et ils se sauvent dans un autre pays aussi vite qu’ils sont venus. »

Le regard de M. A. se détourna une fois encore vers le ventilateur.

« J’suis arrivé le lundi, vers 14 h. On m’avait indiqué une usine désaffectée que ces mabouls prenaient comme temple, ou quelque chose du genre. Comme il pleuvait comme vache qui pisse, j’ai tambouriné à leur porte, espérant au moins avoir le droit à un café ou un remontant quelconque. J’avais vraiment pas idée de ce qu’il se passait à l’intérieur. »

Les pales tournaient lentement.

Une rotation.

Deux rotations.

Trois rotations.

« Y’a deux mecs qui m’ont ouvert. Ils étaient bien sapés, c’est sûr. Ils m’ont fait entrer, m’ont amené dans une petite salle avec les murs couverts d’affiches de propagande gribouillés à la sauvage.

Ils ont commencé à m’expliquer que Dieu leur avait dit que seuls ceux qui abandonnent toutes leurs possessions matérielles ont droit au Paradis. Jusque-là, un grand classique, hein. Sauf qu’apparemment si tu faisais don de tout ce que t’as d’un coup, tu n’es pas jugé “pur”, parce que tu le fais uniquement pour être bien vu, ou une connerie du genre. Nan, l’idée, c’est de continuer de bosser, de consommer, mais en parallèle aussi de se débarrasser de plus en plus de tout ce que t’as jusqu’à ne plus rien avoir.

Et forcément, tu jettes pas tout à la poubelle, non ! Faut bien qu’ils récupèrent leur part du butin. Du coup, ils ont construit une petite ville dans leur usine, avec des magasins et tout, comme ça, les quidams peuvent aimablement dépenser tout leur argent jour après jour. »

Sept.

Huit.

Neuf.

« Évidemment que j’y croyais pas, à leur baratin, ça flairait l’arnaque à des kilomètres. Mais y’en à d’autres, visiblement, qui voyaient pas le truc venir, et qui y croyaient dur comme fer. Du coup je leur ai demandé si je pouvais les voir, les fidèles, pour leur poser des questions.

Ils ont direct été vraiment moins joviaux. Ils ont commencé à beugler que je pouvais pas, que j’allais polluer le spiritisme de leur super ville. J’ai laissé courir, je leur ai dit au revoir, les ai remerciés pour leur temps, et je suis parti. »

Quatorze.

Quinze.

Seize…

« J’ai réservé un hôtel pas très loin. Je voulais revenir en douce une fois la nuit tombée. Du coup je me suis posé et j’ai attendu. J’y suis retourné sur les coups de trois ou quatre heures du matin.

J’avais déjà repéré un carreau cassé par lequel me faufiler la première fois, donc l’entrée s’est fait facile. Je me suis retrouvé dans une espèce de couloir super sombre. J’ai marché un peu à l’aveugle pendant un temps, histoire que mes yeux s’habituent à l’obscurité. J’suis vite tombé sur le hangar principal. Ah ça, ils m’avaient pas menti, ils avaient aménager une vraie petite ville, coupée du reste du monde. Ils avaient même bâché les fenêtres pour que les gens aient plus la notion du temps ! Vous imaginez le foutoir ! »

Dix-sept…

Dix-sept…

Dix-sept…

« Enfin bref, y’avait l’air d’y avoir personne. J’ai même pas eu besoin de me planquer.

À un moment, j’ai entendu du bruit derrière une porte, alors je l’ai ouverte. Y’avait un type, la cinquantaine, il ressemblait à un clochard sous acide, les yeux complètement révulsés, il marchait même pas droit. Je me suis approché, j’ai commencé à lui poser des questions genre “eh, ça va ?”, et là il s’est mis à courir dans tous les sens. Il hurlait des trucs du style “vous pouvez pas comprendre”, “vous, ils vous ont pas eu !”. J’y captais rien. Et là il est parti, grimpant des escaliers pas très loin. Je commençais un peu à me faire dessus, mais je l’ai suivi. »

« Ils étaient une petite dizaine, dans une grande pièce super éclairée, comme si c’était un toit, mais genre toujours à l’intérieur du bâtiment. Y’en à un qui disait aux autres que pour certains d’entre eux, l’épreuve était finie, et qu’il était temps de faire ‘le voyage’.

Et là - putain j’ai encore l’image en tête - y’a une fillette, qui devait avoir pas plus de 17 ans, qui s’approcha d’un espèce de trou dans le sol, pas loin de là où j’étais caché. Le truc devait servir pour l’aération, parce qu’il y avait une grande hélice qui tournait très vite dedans. Tous ses petits copains la regardaient fixement. Et là… elle s’accroupit, et elle plonge sa jambe dedans ! J’ai vu sa chair s’étirer, se déchirer, s’exploser en une fraction de seconde. Les hurlements… Je les entends encore…

C’était pas fini. Elle reprend ses esprits, et y plonge la deuxième jambe… Et là y’a un autre gus qui s’approche du trou et qui commence à faire pareil ! Merde, et les autres qui regardaient, l’air de trouver ça normal…

Au final, ils ont été six, je crois, à se jeter là dedans… Après, je me suis barré en courant, en gerbant deux ou trois fois. Putain, je les revois encore, les pales de l’hélice qui tournait à toute vitesse et ces pauvres âmes qui se jetaient dedans… »

Une rotation.

Deux rotations.

Trois rotations.

Le docteur bougea dans son grand fauteuil, continuant de fixer M. A.

« J’ai averti la police, mais forcément personne ne me croyait. Y’a qu’à un moment, un jeune, qui a bien voulu m’écouter. Il a pris ma déposition et m’a même appelé un taxi pour que je rentre chez moi. Ensuite, on m’a demandé de venir vous voir, pour vous expliquer tout ça. »

Le docteur prit un crayon, gribouilla quelques mots sur un carnet, puis reposa le tout sur le grand bureau.

Un silence.

« En effet, quelle… histoire. Je comprends mieux votre situation. »

Dans un geste lent, le médecin approcha sa main du ventilateur. M. A. se tétanisa, incapable de prononcer un mot. Un clic plus tard, les pales s’arrêtèrent de tourner. M. A. avait les larmes aux yeux.

Terminant la séance, le psy finit par noter les mots suivants :

« Une seule séance ne suffira probablement pas. »

Photo by Immo Wegmann on Unsplash

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